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jeudi 15 juillet 2010

Statues, scorpion et zapatos


Jeudi soir, 21:45, à l'intersection de Jalan Sultan Ismail et Jalan Bukit Bintang, l'une des intersections les plus achalandées du centre-ville de Kuala Lumpur, avec sa station de mono-rail, ses centres commerciaux et ses énormes affiches publicitaires.

Le lieu est l'endroit de prédilection des amuseurs de rue qui s'y réunissent soir après soir pour tenter d'impressionner les nombreux touristes et locaux passant par là.

Ce soir, les amuseurs ont des styles diamétralements opposés. Dans le coin rouge, les six frères péruviens aux guitares et aux flûtes de pan qui jouent en bas des marches du Métro Jean-Talon (ne les cherchez plus à Montréal, ils sont rendus en Asie). Dans le coin bleu, un emo en trans qui a un scorpion dans la main. Et dans un coin d'une autre couleur, débordant d'originalité, trois gars faisant la statue sur un ti-tabouret.

Quelle image vous vient en tête quand vous pensez à la statue sur un ti-tabouret? Au gars sur la Terrasse Dufferin ou sur Ste-Catherine au coin McGill College qui est habillé avec un costume or avec des brillants et des verres fumés noirs et qui ne bouge pas pendant une heure, right? Bon, ben, c'est la même maudite affaire. Sauf qu'au lieu d'en avoir juste un, il y a trois (un en or, un en rouge, un en vert)... trois sur le même coin de rue.

Dans la catégorie "on sait pas trop pourquoi on s'installe à trois sur le même coin de rue... on se dit que c'est une bonne idée d'être trois sur le même coin de rue parce que ça fait parce que ça fait plus punché, mais d'un autre côté c'est pas super winner de faire la même chose sur le même coin de rue parce qu'on va faire trois fois moins d'argent que si on était pas sur le même coin de rue, tsé genre l'autre coin de rue là-bas où il y a autant de monde et où il n'y a pas trois gars faisant la même chose", remettons leur directement la palme, ils la méritent d'emblée.

La foule autour des Péruviens est de l'emo au scorpion est assez hétérogène, beaucoup de Blancs, des Noirs, des Indiens, des Malais, etc. Mais on observe un phénomène assez étrange autour des monsieurs qui flashent. Pratiquement pas de Blancs, de Noirs, d'Indiens et de Malais. À 95%, la foule est composée de Chinois qui se font tous prendre en photos avec l'ami immobile avec les deux doigts du signe de peace bien dans les airs.

NDLR: à titre purement informatif, j'aimerais ici profiter de l'occasion pour souligner à mes amis chinois que depuis l'invention du signe de peace, probablement à quelque part au milieu des années '60, d'autres signes de doigts donnant d'aussi bons résultats sur pellicule ont été inventés. Amis chinois, allez, sautez dans le précipice sans fond de l'aventure extrême, spicez up votre vie avec 50 livres du zeste des citrons les plus surettes au monde, enfoncez-vous avec une machette dans le fin fond de la jungle amazonienne et dans les sentiers les moins battus sur terre pour tracer votre propre voie, osez les folies les plus subversives. Allez-y à un doigt, à trois doigts, avec pas de doigt, avec les deux bras. Mais, je vous en conjure, halte à l'opération "mouton pas d'originalité, on fait tous la même maudite affaire sur nos photos depuis 10 ans". Innovez, bondance!

Donc, pendant que les Chinois jouent au jeu du manque d'originalité avec les hommes immobiles au manque d'originalité tout aussi flagrant, les Péruviens, eux, sont en feu. Je ne sais pas combien la ville de Kuala Lumpur a payé le Métro Jean-Talon pour mettre la main sur ces convoités joueurs autonomes, mais elle a probablement mis le paquet pour mettre la main sur le groupe Carlos, Conception, Gerardo, Mateo, Hector hermanos carnales y zapatos. Quel spectacle enivrant. Des rythmes endiablés, des flûtes de pan qui se font aller de travers à la vitesse de l'éclair, des chansons originales mais aussi des reprises célèbres telles que La Bamba! Personnellement, j'aurais bien aimé entendre la version Hermanos carnales y zapatos de Riders on the storm, mais bon, faut quand même pas trop en demander.

Et comme si le spectacle n'était déjà pas assez excellent comme ça, les hermanos ont pu compter sur l'appui de taille d'un invité surprise pour quelques chansons... ok, n'allez quand même pas vous imaginer que Bono est venu gratter le ukulélé, mais une surprise quand même. Arrivé de nulle part, un Indien aveugle est venu s'immiscer entre Carlos et Hector et s'est mis à danser comme un diable dans l'eau bénite. Un mélange de gigue, de danse punjabi, de mouvements à la Michael Jackson et de gars qui prépare de la pâte à pizza. Indescriptible, vraiment! Personnes portant un pacemaker s'abstenir, cette démonstration artistique inusitée ayant plutôt l'effet d'un stroboscope.

Un stroboscope et un boomerang. Puisqu'après environ 15 minutes, notre ami punjabi est reparti dans la même direction qu'il était arrivé, un peu à la Rain Man la tête dans les airs, disparaissant sans dire bonjour aux frères Z. Un boomerang qui avait attiré plusieurs touristes généreux du porte-monnaie, au grand plaisir des frères Z, riches sans avoir à partager avec leur collègue dansant.

Derrière les musiciens et les statues se tenait l'emo au scorpion. Par définition stylistique, le mec a l'air d'un personnage sorti des ténèbres. Habillé en noir, des bottes Marylin Manson aux multiples studs, d'énormes bagues en métal de devil, des tatoos sur les bras, visage blanc lait avec... tanam... un maquillage en forme de scorpion en guise de masque pour les yeux (concept le gars). Le tout agrémenté avec la joie de vivre caractéristique des emo.

Son scorpion à la main, le type avait de loin le potentiel le plus grand de la soirée. En terme d'originalité, les flûtes de pan des Zapatos et les costumes brillants des statues ne peuvent en rien rivaliser avec un scorpion. Des amuseurs publics avec des scorpions, vous avez vu ça souvent?

Malheureusement pour notre emo, son infinie joie de vivre et son énergie débordante ont quelque peu tué dans l'oeuf l'énorme potentiel du duo. Aucun dynanisme, l'emo restait immobile la main tendue avec le scorpion dans la paume. En fait, la seule chose qui bougeait, c'était le scorpion. Et comme le scorpion ne se déplace pas vraiment à la vitesse d'un jaguar, l'action était limitée et les mouvements de l'animal prévisible.

L'emo aurait pu aller à la rencontre des gens et essayer de leur faire toucher ou prendre le scorpion, se mettre le scorpion dans la bouche ou dans les cheveux... créer de l'action. Non, rien. Le regard vide et immobile sur le coin de la rue avec son scorpion dans la main. Une grosse montagne qui accouche d'une petite souris... bourn's!

Pendant quelques secondes, j'ai songé à allumer le party solide: aller saisir le scorpion des mains de l'emo et aller le mettre dans le chapeau d'une des trois statues. D'un coup, j'aurais fait sortir l'emo de son coma, j'aurais foutu la trouille à la statue qui se serait probablement mis à giguer comme Rain Man et j'aurais permis à une horde de Chinois de rentrer à la maison avec autre chose que des photos de signes de peace.

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