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jeudi 18 avril 2013

Sven au hammam



C’était en quelque sorte un passage obligé, comme manger du « coucou pis de la mergué » ou une tajine. Pour mon premier périple au Maroc, il fallait bien que je m’en tape un, un massage dans un hammam.

Et question de bien profiter du moment, il fallait que j’aie l’esprit en paix, je ne suis donc pas allé dans un des 28572 hammams trop touristiques de la médina d’Arnakech. Mon massage dans un hammam, je me le suis payé dans la ville que j’ai préféré au Maroc, la très sympathique Chefchaouen, qui casse les autres villes avec les maisons blanches et bleues de sa médina.

Dans le guide, on proposait un massage au Centre Viva Form, pour les riches, ou au Bain Baraka, un truc pour locaux dans la médina. J’ai évidemment opté pour le Baraka.

Après avoir essayé de me rendre au bain moi-même, pas mal en très, très gros vain, j’ai dû me résigner à demander mon chemin à des Chefchaouenais parce que le Bain n’a évidemment pas d’adresse parce que les rues n’ont pas mal pas de nom.

Je finis donc par arriver devant une sympathique maison bleue toute coquette avec l’écriteau Baraka. Je monte l’escalier et je suis accueilli par un dude en jelaba, le capuchon bien enfoncé la tête baissée, bien écrasé au fond de sa chaise derrière le comptoir… on dirait Dark Sidious! Ça commence bien!

Sur le comptoir, on retrouve un sceau en plastique contenant des oranges. Des oranges dans un hammam, y’a vraiment des oranges fucking partout au Maroc… trop fort, vive le Maroc!

Après avoir payé la faramineuse somme de cinq euros pour le bain et le massage à Palpatine capuché, je me retourne et me rends compte que tout le monde se change dans l’entrée. Ça ressemble à un vieux vestiaire de hockey avec des tuileries changées pour la dernière fois quelque part dans les années ’70, un plafond bas, pas trop de lumière et un panier avec des gougounes brunes ne possédant pas la caractéristique d’être malléables. Pas tout à fait le même look que l’entrée du Bota Bota.

Je finis de me changer et suis mon masseur dans la portion bain. Finalement, le vestiaire était très class. Ici, c’est plus une ambiance de type salle d’interrogatoire du KGB dans un sous-sol trop humide de Moscou : vieux néon qui a pas trop l’air bien vissé au plafond qui fait un bruit de néon et qui éclaire en alternance comme un vieux néon sait si bien le faire, des portes avec des numéros (les portes ouvertes laissent découvrir une petite pièce tuilée qui a pas trop l’air sympathique si t’es pogné dedans avec un dude qui aurait éventuellement un tourne-vis dans les mains), des tuyaux laissant échapper de beaux cylindres de vapeur et des hommes derrière les portes émettant des sons étranges. J’ai confiance!

On finir par rentrer dans ma salle de massage. Là, je n’ai plus l’impression d’être au KGB, j’ai l’impression d’être dans une salle où Jack Bauer va arriver dans 15 minutes avec une cagoule noire sur la tête pour se faire mettre des électrodes sur les bouttes, la tête à l’envers dans le bain. Grande pièce, vestiaire d’hockey-style avec décoration de tuiles murales n’ayant même jamais fait la cut dans le plus poche des magazines de décoration de Roumanie, dans laquelle le système de ventilation et d’échangeur d’air a arrêté de fonctionner il y a huit ans. Si vous vous demandez ce que ça sent l’humidité, c’est ici qu’il faut venir.

L’homme qui me massera avec la version arabe de Richard Pryor. Il me pointe une rangée de bancs. Je comprends que je dois m’y asseoir avant que le show commence. Il ouvre les robinets et l’eau commence à couler dans le « bain ». Il y a trois seaux. Pryor remplit un seau et commence à lancer l’eau sur la tuile par terre. Il recommence l’opération quelques fois pendant que je me regarde autour de moi pour voir où est la table de massage. Évidemment, aucune table dans la salle des tortures et je comprends assez vite que la table, c’est par terre sur les tuiles et qu’il nettoie le tout pour que j’aille me coucher là dans pas long. Parfois, les hammams ont un énorme banc circulaire en céramique au centre de la pièce pour les massages. Ici, c’est à terre!



Deux minutes après, je me ramasse assis sur la tuile en attendant la suite des instructions. La discussion a lieu en français, en espagnol et en langage des signes tout en ayant lieu ni en français, espagnol ou langage des signes. Bref, ce que je dois faire est tout sauf clair. Je reste donc assis en indien.

Il m’arrose avec le contenu d’un premier seau. Cr**** que c’est chaud! Je m’habitue après trois-quatre seaux. Bien mouillé et brûlé, il me dit de me coucher sur le dos. Il sort son gant de plastique avec sa pommade savonneuse et commence à me masser et laver. Encore maintenant, je ne peux dire si c’était plus du bain ou du massage.

Ça faisait de la mousse pis toute, mais pas nécessairement beaucoup et Pryor allait pas mal trop vite pour laver. Et masser? Pas certain parce que d’un œil extérieur, il n’y avait absolument aucune suite logique dans ses mouvements qui s’apparentaient plus à ceux de Rainman en pleine crise d’épilepsie. Serre un bout de jambe deux secondes… fort et puis pas fort, savonne le genou deux secondes dans une suite d’apparentes incohérences. Vraiment très, très loin du Bota Bota.

Il me grogne « gragera », je me tourne sur le ventre. Il continue sa séquence étrange en m’arrosant une fois de temps en temps.

Il y va à fond la caisse, rentre son gant dans mes boxers sans demander la permission, me taponne les fesses en plus de m’effleurer le lunch un peu trop longtemps à mon goût. Il continue ses mouvements schizophréniques à la hauteur des jambes pendant deux-trois bonnes minutes. J’ai plus l’impression que ce traitement sert à améliorer la circulation sanguine de mes jambes qu’à les détendre. Guy Lafleur, arrête avec ton Revitive Circulation Booster. Le traitement de Richard Pryor est 1000 fois plus efficace, that’s the real deal!

Il regrogne « gragera »; je déduis que je dois me retourner. Il me lève les jambes fait quelques moves de pression que je comprends toujours pas.

Tout ça dure gros max 10 minutes. Il passe les 10 minutes suivantes à m’arroser avec de l’eau chaude… Je viens de comprendre sa technique de relaxation : stresser au maximum le corps du client avec des mouvements imprévisibles et incompréhensibles au point qu’il se relâchera comme jamais après la fin du traitement. Ça fonctionne à merveille, je n’ai jamais été aussi détendu après un « massage », même si je suis couché sur le dos sur de la tuile.

« Gragera », il s’en va… je fais quoi?
« Gragera », il revient 5 minutes plus tard, me relance un seau dessus.
« Gragera », avec un signe, je déduis que je dois aller dans le « bain ».

J’écris bain entre guillemets parce que je n’ai pas ici affaire au bain typique nord-américain. Le bain du Baraka est une cuve rectangulaire à même le mur tapissée de tuiles plus haute que longue. Je ne peux pas déplier mes jambes au complet. Pourtant, je suis loin d’être un géant.

Je réussis à déployer partiellement mes jambes dans le bain avec les genoux plus proches de la gorge que des chevilles. Deuxièmement, je dois positionner mes jambes dans un angle bien précis parce que les robinets, que je suis incapable de fermer, coulent toujours dans le bain, l’un de l’eau trop chaude, l’autre de l’eau trop froide, et je dois éviter le jet pour ne pas me brûler.

Mais couler est un grand mot, alors que le jet du robinet à peine rouillé (j’ai soudainement peur d’attraper le tétanos) s’apparente plus à celui d’un sprinkler qu’à autre chose et que le débit est de trois litres à l’heure.

Je sors de la salle, je crie « gragera », Pryor revient, je lui demande de fermer le robinet. Je vous vois venir : « ben là, trop moune pour fermer avec tes mains… mimimi mimimimi… » Je ne suis pas Hulk, mais je ne suis pas si moune que ça. J’ai beau forcer comme un mongol, mais le robinet n’a pas de poignée, il y a juste la « pinne » en métal. Pryor arrive. Finalement, il n’est pas plus Hulk que moi; il sort une petite clé à molette et ferme les deux robinets rouillés.

Il repart, je peux enfin me détendre dans le bain. Mais comment se détendre sans canard en plastique jaune? Au Bota Bota, ils ont des canards… je veux un canard!

Dix minutes après… « gragera »… il est 11:15, je dois filer parce qu’il faut vider le hammam. Les hommes doivent être sortis pour midi parce que, l’après-midi, le bain est réservé aux femmes.

Finalement, pas gros bain vapeur à l’eucalyptus, de salle de détente avec du Enya, d’emmitouflage dans robe de chambre au coton épais à lire des revues sur les couleurs des portes d’armoires à la mode à Brooklyn. Pas de Bota Bota… et c’est tant mieux. Pas au Maroc pour aller me taper un massage dans un 5 étoiles et me sentir comme chez moi. Au Maroc pour faire ce que les Marocains font.

Pas mal plus de chance ainsi que je me souvienne toute ma vie de Richard Pryor, ses « gragera » et sa thérapie schizophrène et des goûts discutables du propriétaire en matière de décoration intérieure. En plus, le Dark Sidious m’a donné une orange!