Ça y est, Sven la bédaine reprend du service. Cette fois, il trimbale son sac à dos du côté du Brésil, à Rio de Janeiro, la ville qui fait tant baver avec son rythme, ses montagnes et ses kilomètres de plage, pour être plus précis. De retour en Amérique du sud pour une période indéterminée... que de péripéties en perspectives...
dimanche 30 mai 2010
Les Elvis Gratton sont en ville
Vous pensez sûrement tous que la Floride est l'endroit dans le monde où l'on compte le plus d'Elvis Gratton au pouce carré, en raison de l'abondance de touristes québécois.
Vous avez tout faux. De un, l'Elvisme Grattonisme n'est pas uniquement propre au Québécois moyen. Il s'agit d'un mal frappant le mâle à testostérone de tous les pays du monde. De deux, si vous pensez que la Floride remporte la palme, c'est que vous n'avez jamais mis les pieds du côté de Vang Vieng, au Laos.
Il y a quelques années, Vang Vieng est devenue, en raison de la situation géographique incroyable (derrière la rivière qui traverse la vile, on retrouve d'immenses formations karstiques, et ce, sur des kilomètres), un incontournable pour les "backpackers" de partout dans le monde. Mais en raison de l'afflux démesuré de touristes, la ville a eu peu perdu son âme de typique village laotien pour devenir une ville de party, ou devrais-je plutôt dire de débauche, où les mets auxquels on ajoute des substances illicites (si vous voyez ce que je veux dire) sont la norme dans les restaurants de la ville.
Tout touriste traversant le Laos a rencontré sur son passage au moins un autre touriste qui ne connaissait qu'une seule chose à propos du Laos: "Vang Vieng est la ville pour se péter la face".
Évidemment, toute personne dont l'objectif unique est de se péter la face en visitant un pays est une personne cool, très cool. Et c'est probablement ce qui est le plus fascinant à Vang Vieng: la très grande concentration de gens très cool.
Être cool est un état d'esprit, un trait de personnalité. Certains l'ont, d'autres pas. Mais quand tu es cool, tu n'as pas besoin de te forcer pour rester cool... tu es cool.
Sauf que le cool à Vang Vieng, en raison de l'omniprésence du cool moyen, ne se trouve pas assez cool. Il est insécure dans sa coolitude. Et qu'est-ce qui arrive quand le cool tente de devenir un hyper-cool-chill-yo-relax-dude-fuck-wasted-man-wicked-top-mega-double-cool-rechill-reyo pour être plus cool que le cool de l'autre côté de la rue?
Il s'attrique comme un gros colon qui essaie désespérement d'attirer l'attention... et il devient un Elvis Gratton!
Et comme Vang Vieng n'est pas exactement Tokyo en terme de dimension, croiser l'Elvis est une tache relativement facile... en fait, c'est impossible de ne pas voir l'Elvis en action.
L'Australien cool étant trop commun (généralement celui qui ressort du lot en raison de son abondance et sa similitude: petit blanc-bec de 19 ans qui pèse 142 livres mouillé, qui se promène en bédaine et qui marche les bras bien écartés du torse comme s'il pesait 195 livres de muscle et qui balance bien cette absence de muscle et de pilosité... à moins que ça ne soit une technique d'aération pour les aisselles), je vous ai préparé un top 7 de mes Elvis préférés. Pour fin de précision, je vous indique tout de suite que je ne vous indiquerai pas que mes tarzans étaient en bédaine dans la rue... tous les cool sont en bédaine à VV.
- Un grand Indien de 6'4" qui emprunte la démarche d'un robot et qui a des barres de crayon partout dans le visage.
- Son pote indien qui avait tout plein de trucs écrits en rose fluo sur sa poitrine, son abdomen et son dos... pas eu le temps de lire le roman, mais ça me semble clair que c'était du Voltaire.
- Un autre sympathique Elvis qui aimait les trucs sur son haut du corps. Mais ce dernier a poussé la limite un peu plus loin. Pas de crayon rose. Trois grosses cannes de peinture en "spray" sur les trois mêmes parties de son corps: une noire, une blanche et orange. But de l'opération. Recréer le pelage du tigre. Paraît que Les Deux Filles Le Matin ont déjà dit que la peinture en spray est excellente pour faire respirer la peau. Bravo Tiger!
- Un ninja des temps modernes qui a pris les décorations en coton accrochés aux rideaux de sa chambre d'hôtel (bout de corde de deux pieds de long avec une boule en coton avec des petits cheveux qui pendent au bout... vraiment laid, en passant), qui les a transformés en "nunchaku" et qui les fait aller dans la rue... vraiment eu peur de ce dude.
- Deux génies en costumes de bain rose fluo ... longueur boxer, donc à la mi-cuisse. De style et de couleur très cauchemar années '80. Le tout accompagné de coupes de cheveux "bleachée" indescriptibles. Indescriptibles, mais surtout très laides. Tellement laides qu'à côté, le turbo Longueuil passe pour le nec plus ultra du bon goût, de la classe et de l'élégance. Sérieux, ceux-là, je pense qu'ils pensaient être cool, mais ils avaient l'air tellement fif que même les gars de Village People leur auraient dit non en entrevue.
- Monsieur rodéo. Généralement, quand on prend un tuk tuk, les passagers sont dans la cabine et les bagages sont sur le toit. Pas Monsieur rodéo. Lui, c'est le contraire, il est debout sur le top du véhicule, devant les bagages, et est aggripé à une corde attachée au devant de sa monture et qui crie après le chauffeur d'aller plus vite. Vraiment hilarant. J'en ai encore d'intenses douleurs à la rate...
- Mon top du top. L'homme aux trois dessous. Un boxer, un bermudas et un pantalon psychédélique aux 5757643495 couleurs et motifs. Un peu chaotique comme agencement? Pas vraiment parce que les trois sont placés de manière à ce que l'on voit bien la couture des trois dessous... très symétrique en plus et le pantalon est à la hauteur des genoux et il peine à avancer. Pour compléter le tout; des boucles d'oreille en papier en forme de papillon et des lunettes gossées dans un ceintre blanc avec évidemment pas de verres dedans. Et évidemment trop gelé à 11:30 AM pour se rendre compte qu'il avait échappé son t-shirt 50 mètres avant.
... une chance qu'il y avait les montagnes!
samedi 29 mai 2010
Le malade mental
Suivant la recommandation de deux touristes dans l'autobus de Phonsavanh à Vang Vieng, le choix de l'hôtel à Vang Vieng s'arrêta sur Le Jardin Organique.
L'emplacement idéal: au bord de la rivière et le balcon de la chambre donne directement sur les immenses et majestueux pics karstiques qui caractérisent la région. Le décor parfait. 50 000 kips pour la chambre; le tarif est excellent.
Tout semble parfait, sauf une chose... le personnel ne semble pas des plus sympathiques. Au contraire, faire faire la visite de la chambre semble une corvée pour la femme du propriétaire. Bof, rien de grave. Et le propriétaire, lui? Un gros air bête qui ne sourit pas et qui donne du fil à retordre aux employés qui travaillent à la construction de nouvelles unités. Bof, rien de très grave.
Sauf qu'il y a un pas entre être un gros air bête qui ne sourit jamais et qui sait répond à peine à votre salut et devenir un fou furieux qui ferait passer pour un petit chaton tout inoffensif l'Enragé qu'est Michael Douglas dans le film du même nom... Malheureusement pour moi, le pas à franchir, ce débile à insérer dans une camisole de force l'a franchi avec ses grosses bottes sales pleines de boue. La victime de cette crise magistrale, moi... évidemment.
Après la quatrième nuit passée au Jardin Organique, il est temps de quitter les lieux pour se rendre à Vientiane, prochaine destination sur l'itinéraire.
Deux compagnons de voyage hollandais rencontrés à Phonsavanh et habitant au même hôtel me racontent qu'ils ont réussi à faire passer le prix de leur bungalow de 80 000 à 65 000 kips la nuit... tout en ayant promis aux propriétaires de rester trois nuits, de payer pour la lessive et d'acheter des bières et autres boissons...
Pas vraiment l'intention de faire baisser le prix de 15 000 kips la nuit, mais si je suis capable de faire baisser le prix de 5000 kips la nuit, je serai ravi. Après tout, le marchandage est de coutume en Asie. Même dans les hôtels et il m'est même arrivé à quelques reprises de me voir offrir un rabais par les propriétaires sans l'avoir demandé.
Au moment de sortir les billets, je demande à la femme si elle peut baisser le prix de la chambre, tout en insistant sur le fait qu'ils ont offert un rabais à mes compagnons hollandais. Je m'attendais à un oui ou à un non. Pas à un non suivi d'excuses débiles du genre: ils n'ont pas la télé et la climatisation (euh... moi non, plus). En Asie, le marchandage se fait généralement avec le sourire parce qu'il s'agit d'un jeu. Mais là, ce n'est pas un jeu du tout. La femme au sourire bien enfoncé entre ses deux fesses crie non, non, non à tue-tête, gesticulant et ayant l'air de plus en plus bête à chaque seconde. C'est beau, c'est non, j'ai compris. Pas besoin de me faire votre plus belle imitation de Godzilla.
Je tends les billets. Maintenant, c'est combien pour les deux yaourts et les biscuits? 22 000 kips, comme d'habitude. Non 26 000 kips. WTF 26 000? 12 000 pour le biscuits et 10 000 pour les yaourts? Non, 14 000 pour les yaourts? WTF? C'est le troisième matin en ligne que j'achète les yaourts à 5000 kips... pourquoi 7000 kips ce matin? En plus d'avoir la bonne humeur d'un 45 gallons de bouze de vache, t'essaies de me faire avaler que l'inflation a fait grimper de 40% le prix des yaourts dans les 24 dernières heures.
Madame, les yaourts sont 5000 kips partout en ville. Non, non, non, c'est 7000 kips.
Ok, grosse folle. Je vais tout simplement aller acheter ma bouffe ailleurs. Je prends les yaourts et les remets dans le frigo. Et je prends les biscuits et les lance sur l'étagère. Erreur fatale de ma part, parce que c'est à ce moment que Hulk arrive dans la mêlée.
Hulks se met à m'engueuler en laotien et à taper sur le congélateur situé à côté de la réception. Une, deux, trrrrrois.... comme à la lutte... Les tapes sur le congélateur fusent pendant que les insultes pleuvent.
-Easy tiger... on se calme. Donnez-moi mon reçu pour la chambre et je vais fouttre le camp au PC.
Le choeur se poursuit. Pendant que la femme me dit que je suis le pire client sur la terre (ses arguments sont un peu flous, je ne pourrais les détailler), Not so easy Tiger prend son cahier d'invités et me crie : "How many nights, how many nights???"
- Euh, quatre, monsieur, dis-je en commençant à élever la voix.
- No good. People stay here one month and don't ask for discount (à voir comment vous réagissez quand on vous demande un rabais, on se demande bien pourquoi les gens ne demandent pas de rabais... et en passant, monsieur, vous avez un peu d'écume sur le bord de la bouche)
C'est beau dude, pas de rabais. Mais la colère du tigre se poursuit. Après avoir lancé son cahier sur le livre, Hulk prend deux bouteilles de bière pleines et fait semblant de me les lancer par la tête. Une, deux, trrrois... Quel calisse de fêlé!
Je n'ai aucune idée si le gars va vraiment me lancer les bouteilles, mais je baisse la tête. Je commence à avoir la chienne. Je recule. Plus je recule, plus il avance avec ses deux bouteilles à la main. Il refeinte de lancer les bouteilles à nouveau. Je recule encore... il va bien finir par en lancer une.
La femme ne sait plus où donner de la tête. En même temps qu'elle tente de calmer son mari, elle me crie que je devrais avoir honte d'avoir lancé les biscuits sur la tablette parce que les Laotiens ne font jamais ça...
Suis-je donc bête. Total manque de civisme de ma part. C'est pas beau de lancer des biscuits sur une tablette, c'est bien mieux de crier après un client et essayer de lui lancer des bouteilles de bière par la tête... Calisse d'épaisse, veux-tu vraiment qu'on réévalue ton échelle des trucs graves vs pas graves pendant que ton mari a encore deux bouteilles de bière dans les mains?
Le géant vert dépose les bouteilles dans la caisse et recommence à taper sur le congélateur en criant parce que je n'ai pas voulu lui acheter de billets de bus, préférant le faire en ville auprès d'une dame sympathique (la dame vendait tout simplement ses billets moins cher que Hulk et quand je lui ai dit que je lui achèterais le billet s'il me le vendait au même prix que la dame, il avait paniqué). Maintenant, il est en rogne à cause des billets. Dude, on appelle ça le capitalisme et la liberté du consommateur. Pas de problème à ce que tu vendes tes billets plus cher qu'ailleurs, je vais simplement les acheter ailleurs. Mais ça, Not So Easy Tiger n'aimait pas ça. Il gueule, gueule, gueule.
Et il s'avance vers moi. Il me pousse avec ses deux mains. J'ai encore plus la chienne. Le gars est un peu trop violent pour moi. Ma banque de patience est à zéro. Je crie à mon tour: "touche moi encore juste pour moi, gros cave, que j'appelle la police. Touche moi juste une autre fois pour voir".
Le gars lève les deux poings comme un boxeur. Sa femme crie pour le dissuader de frapper un de ses clients. Je reste devant lui. Le gars baisse les bras après quelques secondes (je vois que sa cellule du bon-sens vient de se réveiller dans son cerveau), retraite derrière le comptoir et continue à m'engueuler en laotien.
Je suis hors de moi. Je continue à défier le malade mental. "Envoye gros épais, frappe-moi, frappe-moi juste une fois. J'aimerais bien voir ça". Le scénario était déjà fait dans ma tête: un bleu sur mon visage et c'est la plainte à la police et à l'ambassade du Canada.
Je quitte la scène. Mon "fuck you ass hole!" est bien senti, bien puissant et bien profond. Le sien aussi. Mais je m'en fous. L'important est que le malade mental ne m'ait pas mordu... après tout, je suis vacciné contre la rage animale, mais je ne crois pas que le vaccin soit assez puissant pour contrer les morsures de ce malade mental.
PS: Idéalement, vous éviteriez cette histoire et vous n'iriez jamais donner votre argent aux deux fous furieux du Jardin Organique à Vang Vieng. Conseil d'ami.
mercredi 26 mai 2010
La femme vide
Le tuk tuk quitte le terminus poussiéreux de Nong Kiaw. Huit touristes entassés sur la banquette de gauche et huit sur la banquette de droite. Pas une place de libre et des sacs partout dans l'allée. Quatre heures en perspectives très intéressantes pour le trajet en direction de Luang Prabang.
Quelques minutes après notre départ, le conducteur arrête son tuk tuk pour faire monter une famille laotienne, le père, la mère, le jeune fils et le bébé naissant. Le père scrute les lieux... même s'il n'y a pas de place pour la famille, il fait signe aux autres de monter.
Sans hésiter, le femme fonce vers le fond du compartiment pour aller s'accroupir sur le plancher de tôle, bien accotée contre la fenêtre arrière du véhicule.
Quelque chose cloche avec cette femme. Beau temps, mauvais temps, grande ou petite, riche ou pauvre, à pied ou à vélo, au travail, au repos ou dans les loisirs, les femmes laotiennes sourient en toutes circonstances.
Pas elle. En entrant, son visage fixait le plancher pour aller s'écraser dans son recoin inconfortable. Pas l'ombre d'une émotion ne traverse son visage et son regard. Le vide, l'absnce, le néant total.
D'autres femmes, jeunes mères comme elle et vieilles paysannes, pauvres et plus pauvres, font un saut à bord au cours du trajet. Pas d'espace pour elles nons plus. Malgré la situation peu enviable, la vie et la joie de vivre émanent de leur regard. Mais pas dans celui de la femme vide.
Une simple question de fatigue, peut-être? Après tout, la femme a à son cou un poupon qui demande le lait maternel à un rutyme effarant. Non, c'est plus que de la simple fatigue.
Même quand on lui offre, avec insistance, de prendre place sur la banquette, elle refuse, préférant rester au fond de la cabine. Comme si elle allait voler quelque chose à quelqu'un. Même quand elle refuse les multiples offres, elle ne hoche même pas la tête. C'est à peine si elle recule la tête et baisse le menton. Comme si elle avait peur de déranger ou d'offusquer quelqu'un.
Quand on lui offre un peu de nourriture, elle redonne l'offrance à son plus vieux fils. Comme si elle ne méritait pas ces calories.
Une touriste sort son iPod et tend un écouteur au plus vieux. Curieux, mais aussi apeuré et hésitant, le fils finit par se laisser tenter. La touriste place l'écouteur dans son oreille droite. Un beau geste de partage. La session de musique et de danse (la touriste qui danse pour mettre un peu de joie dans la vie du bambin) dure 10 minutes. La femme regarde la totalité de la scène. Pendant une fraction de seconde au tout début, on a presque senti une once de lumière et de joie dans ses yeux. Mais ce semblant d'once d'émotion cède rapidement; la femme retombe dans les limbes.
Non, pas que de la fatigue. Une peur généralisée de prendre quoi que ce soit. Comme si elle ne méritait rien. La femme doit avoir 30 ans, mais elle en paraît 55. Comme si sa vie ne lui appartenait plus depuis plusieurs années. Une vie sacrifiée. Un regard aux 10 000 souffrances.
Le ciel se couvre, l'orage arrive. Nous descendons les toiles sur le côté du tuk tuk pour rester au sec. Les rideaux tombés, la lumière se fait rare à l'intérieur du véhicule. La femme est toujours assise sur son plancher de tôle. Assis sur les banquettes, nos visages sont encore à la lumière. Mais le visage de la femme, cachée bien au plancher, lui, est bien à l'ombre. Dans la pénombre... un peu à l'image de sa vie. La femme semble vouloir se faire encore plus petite. Son regard est fixe. Elle regarde à l'extérieur. De sa position, la seule chose qu'elle peut apercevoir à l'extérieur est la pluie qui tombe. Je me dis qu'elle regarde la pluie au lieu de fixer un vide quelconque.
A chaque fois que nos regards se croisent, le sien atterit au plancher en deux temps, trois mouvements. La fatigue pèse sur ses paupières pendant que la pluie continue de s'abattre à l'extérieur. Systématiquement, à chaque fois qu'elle ferme les yeux, ces derniers se rouvent trois secondes plus tard pour retourner dans de vide infini. Elle se refuse le droit de reposer ses yeux quelques instants. Dormez madame. Évadez-vous. Rêvez quelques instants que votre vie n'est pas qu'une suite interminable de sacrifices.
Aucune photo de cette dame dans le tuk tuk. La moindre des choses est de lui laisser le peu de dignité qui lui reste. Et de toute façon, je n'ai nullement besoin de photo pour me rappeler ce regard aux 10 000 châtiments. Ces yeux vides sont gravés dans ma mémoire à jamais. Je suis marqué à vie par ces deux yeux en amande.
Le tuk tuk arrive à destination. La femme descend du véhicule, le poupon dans un bras, un panier dans l'autre. Son mari ne l'aide pas.
Le femme courbe les épaules vers l'avant, le poupon dans un bras, un panier dans l'autre, le plus vieux accroché à l'arrière de sa jupe. Elle s'éloigne du terminus poussiéreux... se dirigeant lentement mais sûrement vers la prochaine étape de son chemin de croix de vie...
Quelques minutes après notre départ, le conducteur arrête son tuk tuk pour faire monter une famille laotienne, le père, la mère, le jeune fils et le bébé naissant. Le père scrute les lieux... même s'il n'y a pas de place pour la famille, il fait signe aux autres de monter.
Sans hésiter, le femme fonce vers le fond du compartiment pour aller s'accroupir sur le plancher de tôle, bien accotée contre la fenêtre arrière du véhicule.
Quelque chose cloche avec cette femme. Beau temps, mauvais temps, grande ou petite, riche ou pauvre, à pied ou à vélo, au travail, au repos ou dans les loisirs, les femmes laotiennes sourient en toutes circonstances.
Pas elle. En entrant, son visage fixait le plancher pour aller s'écraser dans son recoin inconfortable. Pas l'ombre d'une émotion ne traverse son visage et son regard. Le vide, l'absnce, le néant total.
D'autres femmes, jeunes mères comme elle et vieilles paysannes, pauvres et plus pauvres, font un saut à bord au cours du trajet. Pas d'espace pour elles nons plus. Malgré la situation peu enviable, la vie et la joie de vivre émanent de leur regard. Mais pas dans celui de la femme vide.
Une simple question de fatigue, peut-être? Après tout, la femme a à son cou un poupon qui demande le lait maternel à un rutyme effarant. Non, c'est plus que de la simple fatigue.
Même quand on lui offre, avec insistance, de prendre place sur la banquette, elle refuse, préférant rester au fond de la cabine. Comme si elle allait voler quelque chose à quelqu'un. Même quand elle refuse les multiples offres, elle ne hoche même pas la tête. C'est à peine si elle recule la tête et baisse le menton. Comme si elle avait peur de déranger ou d'offusquer quelqu'un.
Quand on lui offre un peu de nourriture, elle redonne l'offrance à son plus vieux fils. Comme si elle ne méritait pas ces calories.
Une touriste sort son iPod et tend un écouteur au plus vieux. Curieux, mais aussi apeuré et hésitant, le fils finit par se laisser tenter. La touriste place l'écouteur dans son oreille droite. Un beau geste de partage. La session de musique et de danse (la touriste qui danse pour mettre un peu de joie dans la vie du bambin) dure 10 minutes. La femme regarde la totalité de la scène. Pendant une fraction de seconde au tout début, on a presque senti une once de lumière et de joie dans ses yeux. Mais ce semblant d'once d'émotion cède rapidement; la femme retombe dans les limbes.
Non, pas que de la fatigue. Une peur généralisée de prendre quoi que ce soit. Comme si elle ne méritait rien. La femme doit avoir 30 ans, mais elle en paraît 55. Comme si sa vie ne lui appartenait plus depuis plusieurs années. Une vie sacrifiée. Un regard aux 10 000 souffrances.
Le ciel se couvre, l'orage arrive. Nous descendons les toiles sur le côté du tuk tuk pour rester au sec. Les rideaux tombés, la lumière se fait rare à l'intérieur du véhicule. La femme est toujours assise sur son plancher de tôle. Assis sur les banquettes, nos visages sont encore à la lumière. Mais le visage de la femme, cachée bien au plancher, lui, est bien à l'ombre. Dans la pénombre... un peu à l'image de sa vie. La femme semble vouloir se faire encore plus petite. Son regard est fixe. Elle regarde à l'extérieur. De sa position, la seule chose qu'elle peut apercevoir à l'extérieur est la pluie qui tombe. Je me dis qu'elle regarde la pluie au lieu de fixer un vide quelconque.
A chaque fois que nos regards se croisent, le sien atterit au plancher en deux temps, trois mouvements. La fatigue pèse sur ses paupières pendant que la pluie continue de s'abattre à l'extérieur. Systématiquement, à chaque fois qu'elle ferme les yeux, ces derniers se rouvent trois secondes plus tard pour retourner dans de vide infini. Elle se refuse le droit de reposer ses yeux quelques instants. Dormez madame. Évadez-vous. Rêvez quelques instants que votre vie n'est pas qu'une suite interminable de sacrifices.
Aucune photo de cette dame dans le tuk tuk. La moindre des choses est de lui laisser le peu de dignité qui lui reste. Et de toute façon, je n'ai nullement besoin de photo pour me rappeler ce regard aux 10 000 châtiments. Ces yeux vides sont gravés dans ma mémoire à jamais. Je suis marqué à vie par ces deux yeux en amande.
Le tuk tuk arrive à destination. La femme descend du véhicule, le poupon dans un bras, un panier dans l'autre. Son mari ne l'aide pas.
Le femme courbe les épaules vers l'avant, le poupon dans un bras, un panier dans l'autre, le plus vieux accroché à l'arrière de sa jupe. Elle s'éloigne du terminus poussiéreux... se dirigeant lentement mais sûrement vers la prochaine étape de son chemin de croix de vie...
mardi 25 mai 2010
Les moineaux modernes
J'avais déjà vu plusieurs jeuns moines au Laos, notamment à 5:30 AM dans les rues de Luang Prabang, quand ces jeunes étudiants en robe orange déambulaient en ville en acceptant les offrandes des passants sur le trottoir avant de retourner dans les temples pour étudier.
Rituel très intéressant et instructif sur la vie de ces jeunes personnes malgré l'heure des coqs.
Mais je n'avais jamais rencontré le jeune moine dans son environnement de travail, d'étude, de prière... ce que je fis pour la première fois au Wat Okat Muang Ngoi dans le village de Muang Mgoi Neua dans le nord du Laos.
Nous entrons dans un bâtiment adjacent au temple. Cinq moines d'environ 12-14 ans sont assis au sol sur des coussins. Je les imagine déjà en train d'étudier les écrits des Descartes, Marco Polo, Einstein, Michel Louvain...
Oups! Non! Pas vraiment! Ces futurs Dalai Lama sont plutôt en train de jouer aux cartes et de fumer la cigarette...
Bienvenue du 21e siècle!
jeudi 13 mai 2010
Aller voir Ho Chi Minh... comme à la maternelle
Aller voir le mausolée d'Ho Chi Minh, ancien chef d'état et héros de la libération du joug colonial au Vietnam, est un must. Techniquement, rien dans la vie n'est un must. Mais payer une visite à la dépouille de cet homme qui représente tant pour les habitants de ce pays fait en quelque sorte partie du pèlerinage obligé à Hanoi.
Qui dit Ho Chi Minh dit communisme et politique. Et qui dit communisme et politique dit ordre, autorité et droiture.
En un mois au Vietnam, je n'avais pas vraiment été en contact avec les instances publiques, politiques, communistes. Mais quand vous visitez le mausolée d'Ho Chi Minh, vous retombez en plein dedans, la face première.
Ici, c'est l'ordre et la rectitude à leur extrême. Pas un cheveu qui dépasse, pas un pas à côté du rang. Ici, les règlements sont appliqués et exécutés, pas interprétés. Sinon, le fouet arrive à la vitesse de l'éclair.
Le plus drôle (et je pense que c'est ça qui me fascine le plus des pays communistes), c'est que dans la rue, dans la vie de tous les jours, c'est un peu le bordel et le chaos: les piétons qui traversent la rue partout sauf aux feux de circulation, les motos qui roulent en sens inverse et qui dépassent dans des endroits interdits, les motos et les voitures qui se stationnent sur le trottoir, les klaxons à l'infini. Bref, toutes ces petites choses qui font que l'on adore l'Asie et que l'on voudrait y passer notre vie.
Oups, on s'éloigne un peu... Donc, retour à HCM.
L'instant d'un heure, je suis retombé en enfance... quand on faisait des sorties à la petite école avec Thérése, la maîtresse "faticante" qui n'arrêtait pas de crier quand on faisait quelque chose qui ne faisait pas son affaire. Au mausolée, des Thérèse faticantes, il y en a au moins 75. Ce sont les petits monsieurs en habits officiels.
Devant le mausolée, il y a un immense terrain en pelouse (genre 10 terrains de football). Partout, il y a des pancartes "keep off grass". Comme la pelouse est quadrillée d'un réseau de bandes pavées, le réflexe normal est de se dire: ne pas marcher sur la pelouse pour marcher sur les bandes pavées.
Erreur fatale! Environ quatre secondes après avoir commis ce crime contre l'humanité d'avoir mis le pied à l'intérieur du terrain en pelouse (sur les bandes), trois sifflets se font aller le tut, tut, tut! Et trois paires de bras paniqués s'agitent pour me dire de sortir de là au plus sacrant... un peu plus et le swat arrivait en hélico pour m'abattre.
- Oui, mais je ne marche pas sur le gazon
- Tut!
- Oui, mais c'est écrit de ne pas marcher sur le gazon, mais pas sur la bandes.
- Tut!
- Oui, mais...
- Tut!
_ Oui, mais si vous ne voulez pas que les gens marchent sur la pelouse, pourquoi vous ne mettez pas une clôture?
NDLR: Ici, Sven n'a rien compris. La logique voudrait qu'une clôture règle l'épineux problème du droit de passage sur le "holy grass". Mais avec une clôture, on prive six personnes d'un travail rempli de défis et de dépassement personnels. Faire tut! avec un sifflet et protéger un bout de tourbe.
Après avoir marché 10 minutes pour faire le tour de la pelouse, c'est l'heure de faire la file à l'extérieur. Je respecte les règles: pantalon long, pas de camisole, pas d'appareil photos, pas de téléphone portable, les mains à l'extérieur des poches. Mais un autre sifflet se faire aller le tut, tut, tut! Cette fois, le crime est encore plus grave. Pas 100% dans le rang, l'épaule dépasse un peu celles des perosnnes devant (genre 8 pouces trop sur la droite). Crime de lèse-majesté! On exécute, on rentre dans le rang, le petit monsieur est content.
Le groupe entre dans l'édifice qui abrite la dépouille de HCM. Je commence à paranoïer, je veux être bien sûr de respecter les règles. Les gardes en blanc sont les gardes suprêmes et prennent leur rôle très au sérieux. Je fais particulièrement attention à mes mains... surtout pas dans les poches.
Soudain, Thérèse Nguyen sort le bras et pointe mes mains. Quoi, mes mains? Ah zut, elles sont derrière mon dos. Chez HCM, les mains doivent être sur le côté. Three strike, you're out! Mais ou avais-je la tête? Je suis d'une indiscipline parfois...
C'est donc les mains vissées sur le côté que j'entre dans la salle principale. La salle fait environ 7 mètres sur 7. Il y a 7 gardes dans la salle: quatre aux quatre coins du cerceuil et trois sur la plate-forme des visiteurs. Entre un Vietnamien et un Blanc, qui croyez-vous est plus scruté par les Thérèse? Le Blanc, bien évidemment. Les gardes n'ont d'yeux que pour le Blanc qui ne marche pas assez vite aux yeux d'une Thérèse. Plus vite... même si je suis environ quatre pieds derrière les visiteurs devant moi. Quatrième péché.
Oncle Chi, désolé pour tous ces impairs. Je ne voulais pas être un si mauvais élève. J'aurais tant voulu un sans-faute. Pardonnez-moi d'être un criminel invétéré.
Après avoir tant péché, je sors dehors. Des dizaines de gens se font prendre en photo dans la rue devant l'édifice. La rue est un large boulevard d'au moins six voies. Je fais bien attention pour ne pas me mettre entre les photographes et les groupes... j'ai fait assez de mal ce matin.
Mais qu'à cela ne tienne, je me fait retututer! Pour la 5e fois. Le garde n'est pas content, les bras s'agitent. Me niaises-tu calisse? Les mains sur le côté, il n'y a pas de file, donc pas besoin de marcher derrière tout le monde, je ne marche pas sur le gazon, je marche à la même vitesse que tout le monde.
Thérèse me pointe le trottoir. Faut marcher sur le trottoir.
- Mais il y a des dizaines de gens dans la rue. Pourquoi, moi, je dois être sur le trottoir?
- Tut! tut! tut!
Ben oui, j'ai compris, tut, tut, tut!
Qui dit Ho Chi Minh dit communisme et politique. Et qui dit communisme et politique dit ordre, autorité et droiture.
En un mois au Vietnam, je n'avais pas vraiment été en contact avec les instances publiques, politiques, communistes. Mais quand vous visitez le mausolée d'Ho Chi Minh, vous retombez en plein dedans, la face première.
Ici, c'est l'ordre et la rectitude à leur extrême. Pas un cheveu qui dépasse, pas un pas à côté du rang. Ici, les règlements sont appliqués et exécutés, pas interprétés. Sinon, le fouet arrive à la vitesse de l'éclair.
Le plus drôle (et je pense que c'est ça qui me fascine le plus des pays communistes), c'est que dans la rue, dans la vie de tous les jours, c'est un peu le bordel et le chaos: les piétons qui traversent la rue partout sauf aux feux de circulation, les motos qui roulent en sens inverse et qui dépassent dans des endroits interdits, les motos et les voitures qui se stationnent sur le trottoir, les klaxons à l'infini. Bref, toutes ces petites choses qui font que l'on adore l'Asie et que l'on voudrait y passer notre vie.
Oups, on s'éloigne un peu... Donc, retour à HCM.
L'instant d'un heure, je suis retombé en enfance... quand on faisait des sorties à la petite école avec Thérése, la maîtresse "faticante" qui n'arrêtait pas de crier quand on faisait quelque chose qui ne faisait pas son affaire. Au mausolée, des Thérèse faticantes, il y en a au moins 75. Ce sont les petits monsieurs en habits officiels.
Devant le mausolée, il y a un immense terrain en pelouse (genre 10 terrains de football). Partout, il y a des pancartes "keep off grass". Comme la pelouse est quadrillée d'un réseau de bandes pavées, le réflexe normal est de se dire: ne pas marcher sur la pelouse pour marcher sur les bandes pavées.
Erreur fatale! Environ quatre secondes après avoir commis ce crime contre l'humanité d'avoir mis le pied à l'intérieur du terrain en pelouse (sur les bandes), trois sifflets se font aller le tut, tut, tut! Et trois paires de bras paniqués s'agitent pour me dire de sortir de là au plus sacrant... un peu plus et le swat arrivait en hélico pour m'abattre.
- Oui, mais je ne marche pas sur le gazon
- Tut!
- Oui, mais c'est écrit de ne pas marcher sur le gazon, mais pas sur la bandes.
- Tut!
- Oui, mais...
- Tut!
_ Oui, mais si vous ne voulez pas que les gens marchent sur la pelouse, pourquoi vous ne mettez pas une clôture?
NDLR: Ici, Sven n'a rien compris. La logique voudrait qu'une clôture règle l'épineux problème du droit de passage sur le "holy grass". Mais avec une clôture, on prive six personnes d'un travail rempli de défis et de dépassement personnels. Faire tut! avec un sifflet et protéger un bout de tourbe.
Après avoir marché 10 minutes pour faire le tour de la pelouse, c'est l'heure de faire la file à l'extérieur. Je respecte les règles: pantalon long, pas de camisole, pas d'appareil photos, pas de téléphone portable, les mains à l'extérieur des poches. Mais un autre sifflet se faire aller le tut, tut, tut! Cette fois, le crime est encore plus grave. Pas 100% dans le rang, l'épaule dépasse un peu celles des perosnnes devant (genre 8 pouces trop sur la droite). Crime de lèse-majesté! On exécute, on rentre dans le rang, le petit monsieur est content.
Le groupe entre dans l'édifice qui abrite la dépouille de HCM. Je commence à paranoïer, je veux être bien sûr de respecter les règles. Les gardes en blanc sont les gardes suprêmes et prennent leur rôle très au sérieux. Je fais particulièrement attention à mes mains... surtout pas dans les poches.
Soudain, Thérèse Nguyen sort le bras et pointe mes mains. Quoi, mes mains? Ah zut, elles sont derrière mon dos. Chez HCM, les mains doivent être sur le côté. Three strike, you're out! Mais ou avais-je la tête? Je suis d'une indiscipline parfois...
C'est donc les mains vissées sur le côté que j'entre dans la salle principale. La salle fait environ 7 mètres sur 7. Il y a 7 gardes dans la salle: quatre aux quatre coins du cerceuil et trois sur la plate-forme des visiteurs. Entre un Vietnamien et un Blanc, qui croyez-vous est plus scruté par les Thérèse? Le Blanc, bien évidemment. Les gardes n'ont d'yeux que pour le Blanc qui ne marche pas assez vite aux yeux d'une Thérèse. Plus vite... même si je suis environ quatre pieds derrière les visiteurs devant moi. Quatrième péché.
Oncle Chi, désolé pour tous ces impairs. Je ne voulais pas être un si mauvais élève. J'aurais tant voulu un sans-faute. Pardonnez-moi d'être un criminel invétéré.
Après avoir tant péché, je sors dehors. Des dizaines de gens se font prendre en photo dans la rue devant l'édifice. La rue est un large boulevard d'au moins six voies. Je fais bien attention pour ne pas me mettre entre les photographes et les groupes... j'ai fait assez de mal ce matin.
Mais qu'à cela ne tienne, je me fait retututer! Pour la 5e fois. Le garde n'est pas content, les bras s'agitent. Me niaises-tu calisse? Les mains sur le côté, il n'y a pas de file, donc pas besoin de marcher derrière tout le monde, je ne marche pas sur le gazon, je marche à la même vitesse que tout le monde.
Thérèse me pointe le trottoir. Faut marcher sur le trottoir.
- Mais il y a des dizaines de gens dans la rue. Pourquoi, moi, je dois être sur le trottoir?
- Tut! tut! tut!
Ben oui, j'ai compris, tut, tut, tut!
mercredi 12 mai 2010
Devenir maître dans l'art de dire non
Désolé pour ceux qui n'aiment pas les statistiques, je récidive avec des chiffres aujourd'hui. Et des chiffres sur la sollicitation à acheter dans les rues du Vietnam.
Sans dire que la sollicitation est insupportable, disons simplement qu'elle est omniprésente et constante... et que les "no thank you" dit avec le plus beau des sourires à 8:00 AM peuvent devenir un peu moins polis 12 heures plus tard quand vous avez passé la journée à dire non à tout bout de champ.
Encore une fois, pour vous donner les statistiques les plus précises possible sur le phénomène, j'ai risqué ma vie dans les rues de Hanoi. Défi du jour, comptabiliser le nombre de fois où j'ai été sollicité à acheter quelque chose entre 8:00 et 21:00, soit pendant 13 heures. Allons-y en ordre décroissant.
158: nombre de fois où j'ai été sollicité par un chauffeur de moto pour aller me balader avec lui.
107: nombre de fois où j'ai été sollicité par les chauffeurs de cyclo à monter à bord(conducteur pédale derrière alors que le client est assis devant dans un genre de demi-carosse.
83: nombre de fois où un vendeur ambulant a voulu me vendre de la nourriture.
52: nombre de fois où a voulu me vendre n'importe maudit cossin inutile dont je n'ai nullement besoin (faux guides Lonely Planet, jeux de cartes, briquets, éventails, casquettes,t-shirt, ballons géants gonflés pour enfants -- genre avec la face d'Hello Kitty... ça, c'est ma préférée... j'ai-tu vraiment l'air de quelqu'un qui a quelque chose à crisser avec un ballon Hello Kitty?)
40: nombre de fois où on a voulu me faire entrer dans un commerce quelconque (restaurants, bars, souvenirs, salon de massage, etc.)
8: nombre de fois où je me suis fait demander de faire cirer ce que j'avais dans les pieds... alors que je portais des sandales de plage (juste pour voir le gars essayer de cirer une lanière de plastique d'un pouce de large, je pense que j'aurais dû dire oui).
448 fois. En 13 heures, c'est presque 35 fois à l'heure... environ une fois à toutes les deux minutes.
Nombre de fois où j'ai dit non: 448! Une note parfaite! Comme dirait Rodger, pow! quelle saison.
lundi 10 mai 2010
Trottoir, trottoir... à quoi sers-tu?
Le concept du trottoir est relativement assez connu par des milliards d'être humains: une bande de quelques mètres de largeur surélevée de la rue pour permettre aux piétons de ne pas marcher sur la chaussée, en toute sécurité, à l'abri des voitures.
Évidemment, il y a des trottoirs au Vietnam. Mais à Hanoi et Saigon surtout, les deux plus grosses villes du pays, force est de constater que l'utilisation du trottoir aux fins exclusives des piétons n'est pas sur le point de faire l'objet d'un projet pilote.
Ici, l'endroit de la ville le plus vivant, le plus animé et le trottoir. Toute chose animée ou inanimée atterit un jour ou l'autre sur un trottoir. Vendeurs de tout acabit: nourriture, fruits, légumes, vêtements, souvenirs et n'importe quel autre cossin d'aucune utilité, tables, chaises et clients des milliers de restaurant de type boui-boui, surplus d'inventaire des magasins... et surtout des motos stationnées.
Mopette, zézette, mobilette, appelez ça comme vous voulez. C'est de loin LE moyen de transport le plus populaire ici. À Hanoi et Saigon, elles se comptent par millions. Après avoir passé environ deux semaines dans les deux plus grosses villes du pays, je dirais que 90% de toutes les zézettes sont stationnées sur les trotoirs.
Avec toute cette activité sur le trottoir, ce dernier devient parfois tout simplement impraticable pour le piéton.
Ne reculant devant rien, j'ai donc mis ma vie en jeu pour vous. Pendant 60 minutes, dans le vieux quartier de Saigon - centre névralgique de la ville avec son labyrinthe de rues et de ruelles où il est pratiquement impossible de se perdre :-) -, j'ai fait un test.
J'ai calculé le nombre de fois où j'ai dû descendre du trottoir et aller marcher dans la rue en raison d'un obstacle XYZ. Résultat de ma recherche scientifique: 53 fois. 53 fois en 60 minutes... et ça, c'est juste les fois où je suis descendu dans la rue... pas les fois où je suis remonté. 53, c'est 53 "allers-retours". Ça fait pas longtemps de la shot. En fait, le plus longtemps où j'ai réussi à rester sur le trottoir sans descendre: 47 secondes!
La preuve est faite, ici, ça ne sert à rien de marcher sur le trottoir. Allez hop, tous dans la rue. De un, vous irez plus vite du point A au point B. De deux (ici, je m'adresse plus aux gens aux prises avec un problème d'estime de soi), vous vous sentirez un être important parce que les motos et les voitures vont vous klaxonner environ à toutes les 13 secondes. Et de trois, vous aurez l'air plus "local" et moins touriste.
samedi 8 mai 2010
Les sentiers pas battus des pays de l'est
Comme le dit le proverbe: "T'as voulu venir dans les pays de l'est, ben t'es dans les pays de l'est." Dans le cas présent, ça devrait plus être: "T'as voulu sortir des sentiers battus, ben t'es dans les sentiers pas battus."
Et comme je voulais vraiment aller dans les sentiers pas battus pour mon périple à Mai Chau, région montagneuse à l'est de Hanoi où vivent plusieurs minorités, j'ai décidé de faire affaire avec Ethnic Travel, une compagnie qui se spécialise dans les tours de type pays de l'est.
Après trois heures de route sur la très spectaculaire route Hanoi - Mai Chau, nous prenons un embranchement à droite et nous amorçons notre descente sur une route de terre qui est probablement absente de tous les guides de voyage et toutes les cartes routières du pays. Nous nous enfonçons dans un solide trou. Et au cours des trois prochains jours, aucune personne à la peau blanche ne traversera mon champ de vision.
Peu importe que la qualité de la route laisse à désirer. Les petites maisons en bois sur pilotis éparpillées à gauche et à droite de la route à chaque 300 mètres et les champs de riz en escalier (ici, le riz sera récolté dans environ un mois, les champs sont d'un vert immaculé) accaparent toute mon attention.
Soudain, apparaît devant moi la majestueuse rivière noire tout en bas de la route. Le plan d'eau est immense et spectaculaire. Nous arrivons à la berge sans avoir croisé un autre véhicule sur la route de terre. L'endroit est désert, ce qui ajoute grandement au charme du trou.
Il n'y a pas de quai. Un bateau nous attend sur la berge à la terre orange-rouille. L'embarcation qui nous attend est dans la même palette: un beau rouille saignant. Il a des trous causés par la rouille sur le pont du bateau. Pas vraiment le type de bateau que l'on emprunte en croisière tout inclus... Va-t-on se rendre de l'autre côté? Le moteur du bateau est un moteau de tracteur reconverti en moteau à bateau, l'engin est un produit du génie du recyclage vietnamien! Pendant que le pilote tente tant bien que mal de faire démarrer son moteau de F1, je dois m'affairer à éloigner le bateau du rivage en poussant sur une tige de bambou dans la vase visqueuse et rouillée. De la vase à l'infini. Le bâton s'enfonce et s'enfonce. Le bout dans mes mains devient de plus en plus court. Je me rapproche dangereusement d'un beau triple vrille avec double saut périlleux arrière face première dans la vase quand le moteur se décide à partir...
La rivière et ses dizaines de bras/tentacules sont entourés de montagnes et il n'y a personne sur le plan d'eau. Seuls au monde. L'endroit est parfait pour avoir le silence absolu. Mais avec ses 130-135 décibels bien lourds, Godzilla, surnom donné au moteur, détruit un peu mon fantasme.
Dans les circonstances, la balade en kayak en après-midi cadre un peu plus dans la logique de l'endroit. Pendant deux heures, seul au monde sur cet immense plan d'eau, voguant d'un bras à l'autre à la découverte des rares traces de civilisation sur les flans de montagne.
Après une nuit dans la maison sur pilotis de l'habitant hmong, place à la découverte des champs de riz de Mai Chau en vélo de montagne. Champ après champ, lot plus vert que le précédent après lot plus vert que le précédent. À perte de vue. La vallée est entourée de formations karstiques.
Tata comme je suis, je me dis qu'il faudrait bien que j'aille marcher dans le champ de riz, pour admirer le tout d'un peu plus près. Chaque lot est séparé par une bande de pelouse sèche surélevée. Je marche sur une bande de pelouse entrecoupée, sur une distance d'environ 10-15 pieds, d'un trou de boue avec un peu d'eau. Après un premier pas facile, je tente une deuxième enjambée. Malheur, le terrain d'apparence solide cède sous le poids de mes 155 livres. Je cale dans la boue jusqu'à la cheville. No big deal, quatre autres pas et je suis sorti du bourbier. Calvaire. Le pas suivant est une catastrophe, je cale jusqu'à la mi-mollet sur la droite et ensuite sur la gauche. Je tente de me sortir de ma marde (sens propre et figuré). Je tire tellement fort sur ma jambe gauche que je perds l'équilibre et mets carrément le pied et la main dans les plantes de riz submergées. Je viens de tuer net, frette, sec au moins six plans. L'éléphant dans un magasin de porcelaine, c'est moi. Sauf que ça devrait plutôt être: le gros cave dans le champ de riz qui écrase les semences sur lesquelles les habitants travaillent depuis au moins trois mois.
Crotté comme un cochon, je réussis finalement à quitter le champ maudit. Je vais ensuite rejoindre mes proches cousins du règne animal, mes amis les canards, dans un trou d'eau sale (le seul dans les environs) pour essayer de faire disparaître les cinq livres de boue collées sur moi. Je rêve d'un savon... qui n'existe malheureusement pas dans mon espace-temps.
Après m'être décrotté (ne pas confondre avec laver... laver signifie être propre... dans mon cas, c'est plus enlever le surplus de marde), pourquoi ne pas se taper un trois heures de marche en montagne dans la jungle par 35 degrés? But de l'opération, traverser la montagne pour aller du village hmong à un village habité par des thai blancs (autre minorité de la région). Quelques mètres après avoir quitté le village hmong, nous nous enfonçons dans l'épaisse jungle. Bonne nouvelle, qui dit jungle dit arbres joufflus et beaucoup d'ombre. Mauvaise nouvelle, c'est probablement dans cette forêt que Dieu a créé le concept d'humidité il y a quelques milliards d'années.
L'ascension est constante et n'accorde aucun répit. Après 30 minutes de montée, je vis une première: j'ai tellement chaud que je suis désormais incapable de dire s'il fait chaud ou froid. J'ai perdu la notion de sensation à la chaleur. Mon corps vient de fermer la switch. Mais il vient d'en ouvrir une autre: celle de la sudation extrême. Je me suis transformé en robinet dégouttant par terre. Je suis capable de régler tous les problèmes d'apprvisionnement en eau sur terre avec ma sueur. La palette de ma casquette devient mon squeegee. J'enlève le surplus d'eau de l'intérieur de mes bras avec la palette de ma casquette. La rivière d'eau sur ma palette fait deux pouces de large par trois pouces de long. Je passe du bras gauche au droit à chaque dix secondes. Ma palette ne suffit plus à la demande. Mes avant-bras se remplissent d'eau en dix secondes. Je sens les goutelettes tomber le long de mes jambes et poursuivre leur chemin vers mes chaussettes et chaussures de marche encore bien boueuses. Chaque fois que je m'arrête pour boire de l'eau, c'est le même modus operandi et le même résultat.
N'allez pas croire que je n'apprécie pas la marche. Au contraire. De un, je suis sur le bord de me suer le pancréas par les pores de la peau; ça fait donc longtemps que toutes les toxines ont quitté mon corps. Et de deux, je sens tellement le Bas-du-Fleuve qu'il n'y a vraiment aucune chance que je me fasse piquer. J'ai une aura de puanteur de 15 mètres autour de moi. An insect-free zone, n'importe quand!
Réflexion de même alors que je suis sur le point de suer des ongles: le gars du village thai qui se fait demander "chez vous ou chez nous?" par une fille du village hmong dans le bar du village hmong a intérêt à répondre chez vous parce que l'envie de faire des bébés risque sensiblement de disparaître après avoir marché le sentier.
Nous arrivons enfin dans le village après trois heures de marche. Le niveau d'humidité n'a pas bougé d'un poil. Tous les chiens jappent après moi, ils sont tous agressifs. Probablement qu'ils n'ont jamais rencontré un être aussi puant. Mais il fait tellement chaud qu'ils n'ont même pas l'énergie de me courir après. La langue à
terre. C'est beau, j'ai compris. Je vais aller me laver et cacher mes chaussures de marche de sorte qu'aucun être vivant ne meure d'asphyxie au contact olfactif de mon mélange toxique.
J'ai initialement confiance qu'ils vont finir par sécher. Mais mon niveau de confiance chute radicalement quand je constate que je suis incapable de sécher après m'être lavé.
Après une deuxième nuit dans la maison de l'habitant, une autre splendide demeure au plancher de bambou où les invités couchent sur le plancher de la salle commune, nous reprenons la route à pied. But de l'opération, traverser d'autres villages thai et des millions de champs de riz. Encore une fois, la beauté du paysage (champs de riz à l'infini et maisons de bois dispersées dans les terres) est renversante.
Malheureusement pour moi, mes chaussures n'ont pas séché d'un poil au cours de la nuit. Ça fait un beau "squiche, squiche" quand je les enfile. Nous quittons le village à 8:00 AM. Le thermomètre oscille déjà autour de 30 degrés et il n'y a aucun nuage à l'horizon. Un soleil de plomb. Aucune brise whatsoever. Nous marchons dans un four. Nous passons d'un village à l'autre. Les habitants nous accueillent toujours avec le traditionnel "Xin Chao" (bonjour). Les buffles arrêtent de brouter la pelouse quand nous passons à leur hauteur et les canards se réfugient toujours dans les champs de riz quand ils entendent nos pas menaçants. Mais dans la troisième heure du pèlerinage, ces aspects hier si charmants perdent aujourd'hui un peu de leur attrait. Malheureusement.
Et contrairement à la veille, je ne sue pas. Avec ce soleil de feu, le tout s'évapore à une vitesse incroyable. L'eau, nous l'avons toute bue et aucun endroit dans les environs pour en acheter. Les crampes aux jambes s'en viennent inévitablement. Heureusement que j'ai ma casquette sale. Sans elle, c'est l'insolation à coup sûr. Même la guide vietnamienne, d'ordinaire si volubile, est silencieuse comme une tombe. Elle conserve ses énergies pour la marche... Chaque pas devient de plus en plus lourd. Ça y est, Sven va mourir d'un coup de chaleur.
Non, Sven ne va pas mourir. Intervention divine.
Je baisse le tête... wow, mes chaussures sont sèches! Et rewow, j'entends les klaxons des voitures. Nous sommes arrivés, le trajet de trois jours est terminé.
Quand recommence-t-on? Anytime!
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