Vendredi soir, 22h00. Seul, je déambule dans la pénombre à peine glauque du bairro Gloria, en direction de ce paradis nocturne que je sens à portée de main, celui des plaisirs alcoolisés du bairro de Lapa, haut lieu de la culture délétère findesemainesque de Rio.
À l’ombre de ses célèbres arches blanches,
Lapa, un vendredi, c’est rien de moins qu’un passage obligé à Rio. Oui, chers
gringos, il existe une vie en dehors de Copacabana…
J’entends déjà la musique résonner au loin,
je salive déjà en sentant ces cervejas, ces caipirinhas, ces cachaças… Mais
avant de pouvoir vivre pleinement le moment, je dois traverser ces rues qui
m’ont pas l’air safe pour deux cennes.
Dans le coin gauche… Une cour de garage
asphaltée avec 28 gros méchants loups, avec « guerre de gangs »
tatoués dans la face, s’échangeant un 26 onces d’une quelconque boisson fort
probablement frelatée entre une rue avec aucun poteau de lumière et un pâté de
maisons avec des maisons possédant plus de graffitis que de fenêtres.
Dans le coin droit… Une pas lire lignée de
« gars pas là » jasant entre eux dans un langage parallèle autour de
leurs uniques possessions : sac à dos contenant la totalité de leur
garde-robe et sac de couchage. Au moins 10 sac-à-sac (je reviendrai sur le
phénomène de l’itinérance à Rio dans un autre billet).
La fin des horreurs de trottoir? Non,
diantre! Que vois-je devant moi??? Frayeur pour mes chastes yeux!!! Des
péripatéticiennes!!! Chance pour moi, ce spectacle ne s’étalera que sur
quelques mètres, une vingtaine de spécialistes des plaisirs zinterdits. Mais
ouf, quelle intensité. Et, Dieu, pardonne-moi car j’ai pêché… oui, j’avoue
avoir regardé la chair de ces brebis égarées. Mais vous comprendrez, Monsieur
Dieu, que c’était pour comprendre la culture brésilienne que j’ai posé les yeux
sur ces brebis.
Côté tenue, ça ressemble pas mal à nos
professionnelles à nous. Sauf deux… qui avait une stratégie marketing tout
autre… Au lieu de s’affubler de la traditionnelle robe moulante à ras
l’affaire, on y est ici allé de manière encore plus explicite : direct en
bikini brésilien, pas de tataouinage. What you see is what you get! Et
croyez-moi qu’il y a déjà pas mal de « seeer » avant de « getter ». Dans les cas présents, côté couverture de tissu, imaginez
la grosseur du triangle d’un « La vache qui rit », et ce, pour les
quatre zones à couvrir, ça vous donnera une bonne petite idée… Bref, excellente
pub pour le chirurgien plastique qui a réalisé ces kits à 20 000 (10k pour le
haut-avant et 10k pour le bas-arrière).
Après avoir survécu tant bien que mal à ces
assauts de surplus de peau, je touchais dorénavant presqu’au but : Lapa!
Les arches, blanches et hautes, enfin
devant moi, surplombant une intense faune nocturne : des bars partout sur
ma gauche, avec des terrasses débordant dans la rue, des vendeurs de shooters
ambulants se déplaçant d’un bar à l’autre la bouteille bien haute dans une
main, les verres de plastique dans l’autre, l’allée piétonnière du milieu de la
rue noire de kiosques itinérants de bouffes de toutes sortes et de… non… vous
ne devinerez jamais… encore plus d'alcool…
Et je n’ai pas encore marché sous les
arches. Avant les arches, c’était seulement la mise en bouche… le gros de la
fiesta est de l’autre côté!
Une autre vague frappe : deux rues
remplies de bars… à perte de vue, des terrasses pleines, qui débordent sur les
trottoirs, qui débordent dans les rues, bouchées par une mer jaune de taxis. La
rhapsodie des klaxons se mêle à la musique crachée à l’extérieur par les
innombrables boîtes de nuit et au grondement vocal de milliers de fêtards… quel
prodigieux capharnaüm sonore!
Je dois maintenant retrouver mes compagnons
de soirée. Malheureusement, la technologie cellulaire nous a abandonnés! Faudra
me fier à mes yeux. Bonne chance en ta… Aucune idée à l’extérieur de quel bar
ils sont, mon regard Robocop estime une foule de 5000 personnes et on retrouve
des bars sur plus de 500 mètres. Bon chan, champion!
Et c’est exactement à ce moment, alors que
mes yeux étaient le plus sensibles et vulnérables aux stimulis extérieurs, en
raison de la circonstance exceptionnelle, qu’ils furent attaqués comme jamais
ils ne l’avaient été auparavant. Par une vision d’horreur pouvant faire fondre
l’iris oculaire de Superman. Tel un chevreuil apercevant des phares de voiture en traversant l’autoroute, j’ai figé et été frappé de plein fouet.
Séant à quelques pieds devant moi… un
she-male des temps modernes (ne vous inquiétez, ce n’est pas la simple vue d’un
she-male qui me turlupina, ça m’en prend plus que ça). Une brute de 6 pieds, 5
pouces, 240 livres, les épaules larges comme une nageuse est-allemande, la peau
bien foncée… les poings sur les hanches, les jambes écartées à la He-Man. Portant
une robe bien relevée. Pas relevée comme dans un tartare bien relevé, relevée
dans le sens littéraire du terme. Relevée comme dans pas baissée, relevée à la
même hauteur que les poings sur les hanches. Encore une fois, ici, rien de
stressant… un gars-fille a bien le droit de s’aérer l’entrejambe après un peu
d’exercice.
Le problème ici étant que l’hurluberlu en
question avait omis de s’équiper d’un quelconque sous-vêtement. Si vous n’avez
pas une mémoire à trop court terme, vous vous souvenez que j’ai fait mention
d’un she-male dans le précédant paragraphe. Et ça a quoi entre les deux jambes,
un she-male? Une queue! Une belle grand queue! Perso, je m’étais dit que la
première fois que je verrais la même personne arborant et exhibant fièrement
seins et pénis, ce serait probablement en train de commander un pad-thaï dans
un resto pas trop légit de fond de ruelle de Bangkok. Pas un vendredi soir à
Rio de Janeiro, dehors, au vu et au su de tout le monde, en position He-Man la
robe relevée sur le coin de rue le plus passant de Lapa.
En fait, non, je vous ai menti un peu.
C’est faux d’écrire que Madame (ou Monsieur, c’est selon) avait la graine à
l’air. Parce que notre ami avait habillé son précieux… hé oui, vous avez fait la
bonne déduction; He-Man nous exhibait son phallus portant un condom! Je veux bien
croire que sortir à Lapa, ce n’est pas tout à fait comme aller au Parc Safari
nourrir de girafes avec les enfants… mais Ginette sacrament! L’histoire ne dit
toutefois pas la situation dudit caoutchouc. S’agissait-il d’un usagé ayant
servi quelques minutes auparavant et tenant toujours en raison d’un oubli de
son propriétaire en mode semi? S’agissait-il d’un nouvel abri Tempo à peine déroulé par un
propriétaire chassant déjà le prochain client? Suis curieux dans la vie. Mais à
ce moment, je me suis senti rempli d’une incroyable vacuité! Suis demeuré à
quelques mètres de She-Man tout en poursuivant mon chemin à la recherche de mes
amis, vastement troublé par ce tableau surréel.
Après d’intenses flash-back de peur dignes
de Platoon et de nombreuses divagations et d’hallucination du phallus habillé me pourchassant, je réussis finalement à trouver mes comparses et à expulser le
méchant en leur racontant cette folle péripétie. Vite un caïpi, vite un
deuxième. En temps normal, deux caïpi, ça fait la job. Mais là, je requisite un truc pas mal plus fort.
Aubergiste, me dar algo mais forte por
favor! Il me sort un drink à base de cachaça : ça, ça va te remettre sur
le piton, champion! Un truc blanc laiteux. Blanc laiteux, sérieux? J’ai-tu la
face de quelqu’un qui veut boire du blanc laiteux maintenant?
Le mal devra passer d’une autre manière.
- --- Bonsoir, madame!
- --- Aïe caramba, très bonsoir,
madame!
- --- Allllôôôôôôô… mes plus beaux
hommages, madame!
Finalement, ça va mieux tout d’un coup…
Temps de bouger du trottoir et d’aller clubber, comme le dit si bien cette
expression horrible… Temps de repasser devant le lieu de toutes les horreurs…
Nooooooonnnnnn!!!! Are you f**$*#&@@?* kidding me??? T’es toujours là, le sac à l’air??? Ginette sacrament! Ça fait une demi-heure que je suis passé
devant toi. Et t’es toujours là en train de t’exhiber le lunch en position
He-Man.
Vite une boîte de nuit au PC! On trouve, on
fait la queue à l’extérieur (todoumtissss!), on entre, on boit, on fait
tchikaboum, tchikaboum, tchikaboum… On ressort deux heures plus tard, mais j’ai
toujours peur d’un jamais deux sans trois… On fait bien attention pour ne pas
repasser à l’intersection de She-Man. Je ne retournerai pas dans son antre…
Direction sous les arches. Le lieu devrait
être plus sûr. Plus de fêtards en plein air, plus de vendeurs, plus de
musiciens et, surtout, plus de policiers. Je fais quand même quelques 360 de la
tête, question de m’assurer que la graine ne me suit pas… je commence à paranoyer un sérieux temps.
Rien à l’horizon, je peux maintenant
profiter pleinement du spectacle… un orchestre improvisé, environ 30 personnes
pour autant de percussions, un rythme d’enfer et incessant, un son pesant, une
harmonie spontanée, le tout doublé d’une chorale magnétiquement sublime,
directement sous les blanches arches de Lapa pendant que j’avale deux énormes
brochettes de poulet enrobées de farofa (un classique culinaire local!)… Une
cadence impétueuse qui ne ralentira jamais pendant plus de 30 minutes, une
scène normale d’un vendredi soir parmi tant d’autre, une intensité donnant des
frissons… imaginez pendant le carnaval!!!
Le temps d’un instant, j’avais oublié la
verge de She-Man. Mais la peur reprit en retournant vers la maison, et vers le
dividu en question. J’avance, rien à gauche, rien à droite. Je repasse devant
la scène du crime, rien à gauche, rien à droite. Quelques mètres plus loin, sur une rue
perpendiculaire, je l’aperçois de dos… marchant main dans la main avec un homme
portant chemise et jeans. Sa stratégie avait manifestement fonctionné.
Portait-il encore un condom? Difficile à dire, il avait enfin baissé sa robe et caché son phallus...
Je pouvais enfin dormir en paix!
PS : question à ne pas me demander… t’as
pas de photo du dividu en question?
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