C’était en quelque sorte un passage obligé, comme manger du
« coucou pis de la mergué » ou une tajine. Pour mon premier périple
au Maroc, il fallait bien que je m’en tape un, un massage dans un hammam.
Et question de bien profiter du moment, il fallait que j’aie
l’esprit en paix, je ne suis donc pas allé dans un des 28572 hammams trop
touristiques de la médina d’Arnakech. Mon massage dans un hammam, je me le suis
payé dans la ville que j’ai préféré au Maroc, la très sympathique Chefchaouen,
qui casse les autres villes avec les maisons blanches et bleues de sa médina.
Dans le guide, on proposait un massage au Centre Viva Form,
pour les riches, ou au Bain Baraka, un truc pour locaux dans la médina. J’ai
évidemment opté pour le Baraka.
Après avoir essayé de me rendre au bain moi-même, pas mal en
très, très gros vain, j’ai dû me résigner à demander mon chemin à des Chefchaouenais
parce que le Bain n’a évidemment pas d’adresse parce que les rues n’ont pas mal
pas de nom.
Je finis donc par arriver devant une sympathique maison
bleue toute coquette avec l’écriteau Baraka. Je monte l’escalier et je suis
accueilli par un dude en jelaba, le capuchon bien enfoncé la tête baissée, bien
écrasé au fond de sa chaise derrière le comptoir… on dirait Dark Sidious! Ça commence
bien!
Sur le comptoir, on retrouve un sceau en plastique contenant
des oranges. Des oranges dans un hammam, y’a vraiment des oranges fucking
partout au Maroc… trop fort, vive le Maroc!
Après avoir payé la faramineuse somme de cinq euros pour le
bain et le massage à Palpatine capuché, je me retourne et me rends compte que
tout le monde se change dans l’entrée. Ça ressemble à un vieux vestiaire de
hockey avec des tuileries changées pour la dernière fois quelque part dans les
années ’70, un plafond bas, pas trop de lumière et un panier avec des gougounes
brunes ne possédant pas la caractéristique d’être malléables. Pas tout à fait
le même look que l’entrée du Bota Bota.
Je finis de me changer et suis mon masseur dans la portion
bain. Finalement, le vestiaire était très class. Ici, c’est plus une ambiance
de type salle d’interrogatoire du KGB dans un sous-sol trop humide de
Moscou : vieux néon qui a pas trop l’air bien vissé au plafond qui fait un
bruit de néon et qui éclaire en alternance comme un vieux néon sait si bien le
faire, des portes avec des numéros (les portes ouvertes laissent découvrir une
petite pièce tuilée qui a pas trop l’air sympathique si t’es pogné dedans avec
un dude qui aurait éventuellement un tourne-vis dans les mains), des tuyaux
laissant échapper de beaux cylindres de vapeur et des hommes derrière les
portes émettant des sons étranges. J’ai confiance!
On finir par rentrer dans ma salle de massage. Là, je n’ai plus l’impression d’être au KGB, j’ai l’impression d’être dans une salle où Jack Bauer va arriver dans 15 minutes avec une cagoule noire sur la tête pour se faire mettre des électrodes sur les bouttes, la tête à l’envers dans le bain. Grande pièce, vestiaire d’hockey-style avec décoration de tuiles murales n’ayant même jamais fait la cut dans le plus poche des magazines de décoration de Roumanie, dans laquelle le système de ventilation et d’échangeur d’air a arrêté de fonctionner il y a huit ans. Si vous vous demandez ce que ça sent l’humidité, c’est ici qu’il faut venir.
L’homme qui me massera avec la version arabe de Richard
Pryor. Il me pointe une rangée de bancs. Je comprends que je dois m’y asseoir
avant que le show commence. Il ouvre les robinets et l’eau commence à couler
dans le « bain ». Il y a trois seaux. Pryor remplit un seau et
commence à lancer l’eau sur la tuile par terre. Il recommence l’opération
quelques fois pendant que je me regarde autour de moi pour voir où est la table
de massage. Évidemment, aucune table dans la salle des tortures et je comprends
assez vite que la table, c’est par terre sur les tuiles et qu’il nettoie le
tout pour que j’aille me coucher là dans pas long. Parfois, les hammams ont un énorme
banc circulaire en céramique au centre de la pièce pour les massages. Ici,
c’est à terre!
Deux minutes après, je me ramasse assis sur la tuile en
attendant la suite des instructions. La discussion a lieu en français, en
espagnol et en langage des signes tout en ayant lieu ni en français, espagnol
ou langage des signes. Bref, ce que je dois faire est tout sauf clair. Je reste
donc assis en indien.
Il m’arrose avec le contenu d’un premier seau. Cr**** que
c’est chaud! Je m’habitue après trois-quatre seaux. Bien mouillé et brûlé, il
me dit de me coucher sur le dos. Il sort son gant de plastique avec sa pommade
savonneuse et commence à me masser et laver. Encore maintenant, je ne peux dire
si c’était plus du bain ou du massage.
Ça faisait de la mousse pis toute, mais pas nécessairement beaucoup
et Pryor allait pas mal trop vite pour laver. Et masser? Pas certain parce que
d’un œil extérieur, il n’y avait absolument aucune suite logique dans ses
mouvements qui s’apparentaient plus à ceux de Rainman en pleine crise
d’épilepsie. Serre un bout de jambe deux secondes… fort et puis pas fort,
savonne le genou deux secondes dans une suite d’apparentes incohérences.
Vraiment très, très loin du Bota Bota.
Il me grogne « gragera », je me tourne sur le
ventre. Il continue sa séquence étrange en m’arrosant une fois de temps en
temps.
Il y va à fond la caisse, rentre son gant dans mes boxers sans
demander la permission, me taponne les fesses en plus de m’effleurer le lunch
un peu trop longtemps à mon goût. Il continue ses mouvements schizophréniques à
la hauteur des jambes pendant deux-trois bonnes minutes. J’ai plus l’impression
que ce traitement sert à améliorer la circulation sanguine de mes jambes qu’à
les détendre. Guy Lafleur, arrête avec ton Revitive Circulation Booster. Le
traitement de Richard Pryor est 1000 fois plus efficace, that’s the real deal!
Il regrogne « gragera »; je déduis que je dois me
retourner. Il me lève les jambes fait quelques moves de pression que je
comprends toujours pas.
Tout ça dure gros max 10 minutes. Il passe les 10 minutes
suivantes à m’arroser avec de l’eau chaude… Je viens de comprendre sa technique
de relaxation : stresser au maximum le corps du client avec des mouvements
imprévisibles et incompréhensibles au point qu’il se relâchera comme jamais
après la fin du traitement. Ça fonctionne à merveille, je n’ai jamais été aussi
détendu après un « massage », même si je suis couché sur le dos sur
de la tuile.
« Gragera », il s’en va… je fais quoi?
« Gragera », il revient 5 minutes plus tard, me
relance un seau dessus.
« Gragera », avec un signe, je déduis que je dois
aller dans le « bain ».
J’écris bain entre guillemets parce que je n’ai pas ici
affaire au bain typique nord-américain. Le bain du Baraka est une cuve
rectangulaire à même le mur tapissée de tuiles plus haute que longue. Je ne
peux pas déplier mes jambes au complet. Pourtant, je suis loin d’être un géant.
Je réussis à déployer partiellement mes jambes dans le bain
avec les genoux plus proches de la gorge que des chevilles. Deuxièmement, je
dois positionner mes jambes dans un angle bien précis parce que les robinets,
que je suis incapable de fermer, coulent toujours dans le bain, l’un de l’eau
trop chaude, l’autre de l’eau trop froide, et je dois éviter le jet pour ne pas
me brûler.
Mais couler est un grand mot, alors que le jet du robinet à
peine rouillé (j’ai soudainement peur d’attraper le tétanos) s’apparente plus à
celui d’un sprinkler qu’à autre chose et que le débit est de trois litres à
l’heure.
Je sors de la salle, je crie « gragera », Pryor
revient, je lui demande de fermer le robinet. Je vous vois venir :
« ben là, trop moune pour fermer avec tes mains… mimimi mimimimi… »
Je ne suis pas Hulk, mais je ne suis pas si moune que ça. J’ai beau forcer
comme un mongol, mais le robinet n’a pas de poignée, il y a juste la
« pinne » en métal. Pryor arrive. Finalement, il n’est pas plus Hulk
que moi; il sort une petite clé à molette et ferme les deux robinets rouillés.
Il repart, je peux enfin me détendre dans le bain. Mais
comment se détendre sans canard en plastique jaune? Au Bota Bota, ils ont des
canards… je veux un canard!
Dix minutes après… « gragera »… il est 11:15, je
dois filer parce qu’il faut vider le hammam. Les hommes doivent être sortis
pour midi parce que, l’après-midi, le bain est réservé aux femmes.
Finalement, pas gros bain vapeur à l’eucalyptus, de salle de
détente avec du Enya, d’emmitouflage dans robe de chambre au coton épais à lire
des revues sur les couleurs des portes d’armoires à la mode à Brooklyn. Pas de
Bota Bota… et c’est tant mieux. Pas au Maroc pour aller me taper un massage
dans un 5 étoiles et me sentir comme chez moi. Au Maroc pour faire ce que les
Marocains font.
Pas mal plus de chance ainsi que je me souvienne toute ma
vie de Richard Pryor, ses « gragera » et sa thérapie schizophrène et
des goûts discutables du propriétaire en matière de décoration intérieure. En
plus, le Dark Sidious m’a donné une orange!