J'ai toujours été un fan fini des "rides" d'autobus dans les pays en voie de développement. Parce que le potentiel qu'il s'y passe de grandes choses spectaculaires est énorme. Comme un épisode d'Entre Chien et Loup ou des Poupées Russes. Et j'allais vivre ce grand moment de télé à seulement ma 3e ride à Lima.
Petite information utile afin de bien comprendre le pourquoi du comment: il n'y a pas de système de transport public, donc géré par la ville, à proprement parler. On retrouve donc plusieurs compagnies qui assurent un service sur des trajets XYZ à gauche et à droite. Small government! Éric Duhaime serait sûrement content...
Dans le bus, outre les passagers, le chauffeur et les bancs scraps, on retrouve un petit paquet de nerfs qui assure plusieurs rôles en même temps. Comme il n'y a pas de boîte de perception et qu'on peut monter à l'avant et à l'arrière, notre lapin Energizer tilt sans arrêt entre les deux extrémités du bus pour percevoir l'argent des nouveaux passagers. Il annonce également les arrêts aux passagers, à l'aide d'un cri bien retentissant, et fait la même chose en annonçant la destination aux gens attendant l'autobus sur le trottoir, à l'aide du même cri retentissant. Le voir en plein action au beau milieu de l'heure de pointe le matin, dans un bus évidemment bondé de kekun, est tout simplement grandiose. Si vous connaissez un chauffeur de la STM qui se plaint de ses conditions de travail, suggérez-lui un cambio de trabajo à Lima pour deux semaines, il devrait retourner à Montréal assez vite...
Ce matin-là, malgré tout son bon vouloir, notre chaud lapin s'est fait, côté motivation, battre à plate couture par l'envoyé de Dieu. Ayant toutes les caractéristique d'un monsieur qui n'a pas vraiment de caractéristiques, l'homme réussit à se trouver une niche plutôt inconfortable debout derrière le chauffeur, bien coincé entre trois passagers, avant de commencer son plaidoyer.
Mesdames et messieurs, prenez place avec un Journal de Mourial, un gros Pepsi, une boîte de Jos Louis et un ti-chips au vinaigre, "Crisse chu ben", le pestacle va commencer.
Bien que je sois assis à deux bancs de l'agneau de Dieu, j'entends à peu près 4% des mots qu'il débite. L'apôtre a beau vouloir passer son message important, il doit, sonoristiquement parlant, rivaliser avec Madame "la transmission manuelle de l'autobus probablement construit en 1965 et qui n'a pas eu d'huile depuis au moins 10 ans parce que anyway les chauffeurs virils ne mettent pas ça de l'huile et qui a le kreng shaft jammé dans la strap du bering du galliper et qui crisse à 145 décibels rouille contre rouille à chaque changement de vitesse".
Il a beau suer du cassse, rien à faire, la transmission l'enterre automatiquement. J'entends un bout de phrase une fois de temps en temps... "Dio es amor"... J'imagine mal comment ceux qui sont à l'arrière du bus et qui ont la transmission sous leurs pieds entendent quoi que ce soit.
... "Corazon...
Regard rapide autour de moi. Tout le monde a l'air de s'en sacrer comme la même année que nous autres: on lit son journal, on mange, on se fouille dans le nez, on dort, mais on n'écoute pas San Marco.
... "Luz"...
Ce dernier continue à s'époumoner, tentant toujours d'élever la voix un peu plus. Mais au beau milieu de la chorale du lapin Energizer et du chauffeur beuglant les arrêts, de l'intervention d'un apôtre du commerce montant à bord pour nous vendre arachides et maïs soufflé, de l'orchestre de la transmission en Canon de Pachelbel avec la suspension tout aussi à point... Je me demande comment physiquement on pourrait fitter un autre son sans que les murs de l'autobus tombent.
Fermez les yeux et imaginez que vous êtes seul sur une île du Pacifique, n'entendant que le doux souffle du vent et de l'océan vous racontant le refrain sempiternel de la joie de l'immensité pure et chaste des îles. Vos paupières deviennent de plus en plus lourdes, votre tête tombe vers l'arrière absorbée par un cumulus en forme d'oreiller, vous mangez du Philadelphia avec Sophie Faucher. Ça y est, vous atteignez le nirvana...
Whhhooooaaaa!!!!!!!! Freinage brusque, concert insatiable de klaxons. Chaos dans la rue. Mais l'agneau continue son roman fleuve comme si de rien n'était. Imperturbable. Sérieux, dude, ça fait 10 minutes que tu parles, es-tu en train de réciter l'épître aux Corinthiens au grand complet? Autre regard dans le bus, toujours devant un public indifférent...
... "No queremos escuchar"...
Le concert sonore ne cesse de résonner: les fenêtres claquent à chaque bosse, la porte arrière frappe contre les marches sans arrêt, la transmission chante le 4e refrain... Ce que j'auais payé cher pour que le conducteur mette la radio dans le tapis et pour qu'il y ait des poules et un lama dans l'autobus...
... "No sabemos escuchar"...
Suivi quelques secondes plus tard d'un tant attendu: "Senoras, Senores, gracias por su contribucion, Dio te amo". Quelle sera la cagnotte, Monsieur Corbeil? Malgré tous les éléments ayant joué en sa défaveur, San Marco réussit à soutirer de l'argent à environ 8 personnes sur 10 dans le bus. Increible!!! Wow, je suis renversé!!! La première étoile à San Marco!!!
Bravo champion, tu as déjoué tous les pronostics. Mais, petit conseil, la prochaine fois, au lieu de réciter l'Ancien testament au grand complet, fais juste monter dans le bus et dire: donnez, argent, Dieu. Tu pourras monter dans plus de bus et récolter plus d'argent. Anyway, c'est pour une bonne cause...